VOLTAIRE

(1694-1778)

Largillire
Nicolas de Largillire: Portrait de Voltaire (dtail)
Institut et Muse Voltaire, Genve, CH.


POEME SUR LA LOI NATURELLE

(1752)


PREFACE

       On sait assez que ce pome n'avait pas t fait pour tre public; c'tait depuis trois ans un secret entre un grand roi et l'auteur. Il n'y a que trois mois qu'il s'en rpandit quelques copies dans Paris, et bientt aprs il y fut imprim plusieurs fois d'une manire aussi fautive que les autres ouvrages qui sont partis de la mme plume.

      Il serait juste d'avoir plus d'indulgence pour un crit secret, tir de l'obscurit o son auteur l'avait condamn, que pour un ouvrage qu'un crivain expose lui-mme au grand jour. Il serait encore juste de ne pas juger le pome d'un laque comme on jugerait une thse de thologie. Ces deux pomes sont les fruits d'un arbre transplant: quelques-uns de ces fruits peuvent n'tre pas du got de quelques personnes; ils sont d'un climat tranger, mais il n'y en a aucun d'empoisonn, et plusieurs peuvent tre salutaires.

      Il faut regarder cet ouvrage comme une lettre o l'on expose en libert ses sentiments. La plupart des livres ressemblent ces conversations gnrales et gnes dans lesquelles on dit rarement ce qu'on pense. L'auteur a dit ce qu'il a pens un prince philosophe auprs duquel il avait alors l'honneur de vivre. Il a appris que des esprits clairs n'ont pas t mcontents de cette bauche: ils ont jug que le pome sur la Loi naturelle est une prparation des vrits plus sublimes. Cela seul aurait dtermin l'auteur rendre l'ouvrage plus complet et plus correct, si ses infirmits l'avaient permis. Il a t oblig de se borner corriger les fautes dont fourmillent les ditions qu'on en a faites.

      Les louanges donnes dans cet crit un prince qui ne cherchait pas ces louanges ne doivent surprendre personne; elles n'avaient rien de la flatterie, elles partaient du coeur: ce n'est pas l de cet encens que l'intrt prodigue la puissance. L'homme de lettres pouvait ne pas mriter les loges et les bonts dont le monarque le comblait; mais le monarque mritait la vrit que l'homme de lettres lui disait dans cet ouvrage. Les changements survenus depuis dans un commerce si honorable pour la littrature n'ont point altr les sentiments qu'il avait fait natre.

      Enfin, puisqu'on a arrach au secret et l'obscurit un crit destin ne point paratre, il subsistera chez quelques sages comme un monument d'une correspondance philosophique qui ne devait point finir; et l'on ajoute que si la faiblesse humaine se fait sentir partout, la vraie philosophie dompte toujours cette faiblesse.

      Au reste, ce faible essai fut compos l'occasion d'une petite brochure qui parut en ce temps-l. Elle tait intitule du Souverain Bien et elle devait l'tre du Souverain Mal. On y prtendait qu'il n'y a ni vertu ni vice, et que les remords sont une faiblesse d'ducation qu'il faut touffer. L'auteur du pome prtend que les remords nous sont aussi naturels que les autres affections de notre me. Si la fougue d'une passion fait commettre une faute, la nature, rendue elle-mme, sent cette faute. La fille sauvage trouve prs de Chlons avoua que, dans sa colre, elle avait donn sa compagne un coup dont cette infortune mourut entre ses bras. Ds qu'elle vit son sang couler, elle se repentit, elle pleura, elle tancha ce sang, elle mit des herbes sur la blessure. Ceux qui disent que ce retour d'humanit n'est qu'une branche de notre amour-propre font bien de l'honneur l'amour-propre. Qu'on appelle la raison et les remords comme on voudra, ils existent, et ils sont les fondements de la loi naturelle.


EXORDE


PREMIERE PARTIE

Dieu a donn aux hommes les ides de la justice, et la conscience pour les avertir, comme il leur a donn tout ce qui leur est ncessaire. C'est l cette loi naturelle sur laquelle la religion est fonde; c'est le seul principe qu'on dveloppe ici. L'on ne parle que de la loi naturelle, et non de la religion et de ses augustes mystres.


DEUXIEME PARTIE

Rponses aux objections contre les principes d'une morale universelle. Preuve de cette vrit.


TROISIEME PARTIE

Que les hommes, ayant pour la plupart dfigur, par les opinions qui les divisent, le principe de la religion naturelle qui les unit, doivent se supporter les uns les autres.


QUATRIEME PARTIE

C'est au gouvernement calmer les malheureuses disputes de l'cole qui troublent la socit.


PRIERE

NOTES DE VOLTAIRE

Note 1

      Nous savons que ce pome, qu'on regarde comme l'un des meilleurs ouvrages de notre auteur, fut fait vers l'an 1751, chez Mme la margrave de Bayreuth, sur du roi de Prusse. Je ne sais quels pdants eurent depuis l'atrocit imbcile de le condamner.
      Ces vils tyrans de l'esprit, qui avaient alors trop de crdit, ont t punis depuis de toutes leurs insolences.

Note 2

      Dieu tant un tre infini, sa nature a d tre inconnue tous les hommes. Comme cet ouvrage est tout philosophique, il a fallu rapporter les sentiments des philosophes. Tous les anciens, sans exception, ont cru l'ternit de la matire; c'est presque le seul point sur lequel ils convenaient. La plupart prtendaient que les dieux avaient arrang le monde; nul ne croyait que Dieu l'et tir du nant. Ils disaient que l'intelligence cleste avait, par sa propre nature, le pouvoir de disposer de la matire, et que la matire existait par sa propre nature.
      Selon presque tous les philosophes et les potes, les grands dieux habitaient loin de la terre. L'me de l'homme, selon plusieurs, tait un feu cleste; selon d'autres, une harmonie rsultante de ses organes; les uns en faisaient une partie de la Divinit, divinae particulam aurae les autres, une matire pure, une quintessence; les plus sages, un tre immatriel: mais, quelque secte qu'ils aient embrasse, tous, hors les picuriens, ont reconnu que l'homme est entirement soumis la divinit.

Note 3

      Il faut distinguer Confutze, qui s'en est tenu la religion naturelle, et qui a fait tout ce qu'on peut faire sans rvlation.

Note 4

      Il est vident que cet arbitraire ne regarde que les choses d'institution, les lois civiles, la discipline, qui changent tous les jours selon le besoin.

Note 5

      On ne doit entendre par ce mot dcrets que les opinions passagres des hommes, qui veulent donner leurs sentiments particuliers pour des lois gnrales.

Note 6

       Chaque homme signifie clairement chaque particulier qui veut s'riger en lgislateur; et il n'est ici question que des cultes trangers, comme on l'a dclar au commencement de la premire partie.

Note 7

      On ne pouvait prvoir que les flammes dtruiraient une partie de cette ville malheureuse, dans laquelle on alluma trop souvent des bchers.

Note 8

      On respecte cette maxime: "Hors de l'Eglise point de salut"; mais tous les hommes senss trouvent ridicule et abominable que des particuliers osent employer cette sentence gnrale et comminatoire contre des hommes qui sont leurs suprieurs et leurs matres en tout genre; les hommes raisonnables n'en usent point ainsi. L'archevque Tillotson aurait-il jamais crit l'archevque Fnelon: "Vous tes damn"? et un roi de Portugal crirait-il un roi d'Angleterre qui lui envoie des secours: "Mon frre, vous irez tous les diables"? La dnonciation des peines ternelles ceux qui ne pensent pas comme nous est une arme ancienne qu'on laisse sagement dans l'arsenal, et dont il n'est permis aucun particulier de se servir.

Note 9

      Il ne faut pas entendre par ce mot l'Eglise catholique, mais le poignard d'un ecclsiastique, le fanatisme abominable de quelques gens d'glise de ces temps-l, dtest par l'Eglise de tous les temps.

Note 10

      Ce ridicule, si universellement senti par toutes les nations, tombe sur les grandes intrigues pour de petites choses, sur la haine acharne de deux partis qui n'ont jamais pu s'entendre, sur plus de quatre mille volumes imprims.

Note 11

      Ce n'est pas dire que chaque ordre de l'Etat n'ait ses distinctions, ses privilges indispensablement attachs ses fonctions. Ils jouissent de ces privilges dans tout le pays; mais la loi gnrale lie galement tout le monde.


     Avec notre sincre reconnaissance envers Charles-Ferdinand Wirz, Conservateur de l'Institut et Muse Voltaire et Secrtaire de la Socit Jean-Jacques Rousseau, pour son aide dans la recherche de documents.

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