Nicolas de Largillire: Portrait de Voltaire (dtail) Institut et Muse Voltaire, Genve, CH.

E P I T R E DE MR. DE VOLTAIRE A SON ALTESSE MADAME LA DUCHESSE DU MAINE, SUR LA BATAILLE DE LAUFELDT, Gagne par L O U I S XV Le 2. Juillet 1747. (d. 1748, Amsterdam - coll. P.P.) (Orthographe de l'dition respecte)

     AUguste Fille & Mere de Hros,
Vous ranimez ma voix faible & casse,
Et vous voulez que ma Muse lasse
Comme LOUIS ignore le repos:
D'un craon vrai vous m'ordonnez de peindre
Son coeur modeste & ses brillans exploits,
Et CUMBERLAND que l'on a v deux fois
Chercher le Roi, l'admirer & le craindre;
Mais des bons Vers l'heureux tems est pass,
L'art des combats est l'art o l'on excelle,
Notre Alexandre en vain cherche un Apelle;
LOUIS s'leve, & le sicle est baiss:
De Fontenoy, le nom plein d'harmonie,
Pouvait au moins seconder le gnie;
Boileau plit au seul nom de Narden,
Que diroit-il, sinon loin d'Helderen
Il et falu suivre entre les deux Nethes
Bathiany si savant en Retraites,
Avec d'Estres Rosmal s'avancer?
La gloire parle, & LOUIS me rveille;
Le nom du Roi charme toujours l'oreille,
Mais que Laufeldt est rude prononcer!
Puis quand ma voix par ses faits enhardie
L'auroit chant sur le plus noble ton,
Qu'auroit-il fait? blesser sa modestie,
Sans ajoter l'clat de son nom;
De votre Fils, je connais l'indulgence,
Il agrra mon inutile encens;
Car la bont, la soeur de la vaillance,
De vos Aeux passa dans vos Enfans;
Mais tout Lecteur n'est pas si dbonnaire;
Et si j'avais, peut-tre tmraire,
Represent vos fiers Carabiniers,
Donnant l'exemple aux plus braves Guerriers;
Si je peignois ce soutien de nos Armes,
Ce petit-Fils, ce Rival de Cond;
Du Dieu des Vers, si j'tais second,
Comme il le fut par le Dieu des allarmes,
Plus d'un Censeur encore avec dpit
M'accuseroit d'en avoir trop dit.
     Trs-peu de gr, mille trait de Satire,
Sont le loer de quiconque ose crire.
Mais pour son Prince il faut savoir souffrir,
Il est par-tout des risques courir;
Et la censure avec plus d'injustice
Va tous les jours acharner sa malice
Sur des Hros, dont la fidlit
L'a mieux servi que je ne l'ai chant.
     Auteurs du tems, rompez donc le silence,
Osez sortir d'une Morne indolence;
Quand LOUIS vole des prils nouveaux,
Si les La Tour, ainsi que les Vanloos,
Peignent ses traits qu'un Peuple heureux adore,
Peignez son ame, elle est plus belle encore;
Representez ce Conqurant humain,
Offrant la Paix le Tonnerre la main:
Ne loez point, Auteurs, rendez justice;
Et comparant aux sicles reculez,
Le sicle heureux, les jours dont vous parlez,
Lisez Csar, vous connatrez MAURICE.
     Si de l'Etat vous aimez les vengeurs,
Si la Patrie est vivante en vos coeurs,
Voez le Chef, dont l'active prudence,
Venge la fois, Gnes, Parme & la France:
Chantez Belle-Isle; levez dans vos Vers
Un Monument au gnreux Bouflers:
Il est d'un Sang qui fut l'apui du Trne;
Il eut p l'tre, & la faulx du trpas
Tranche ses jours chapez Bellone,
Au sein des Murs dlivr par son bras:
Mais quelle voix assez forte, assez tendre,
Saura gmir sur l'hroque cendre
De ces Guerriers que Mars priva du jour
Aux yeux d'un Roi, leur Pere & leur amour!
     O vous, sur-tout, infortun Bavire,
Jeune Froulay, si digne de nos pleurs,
Qui chantera votre vertu guerrire!
Sur vos Tombeau qui rpendra des fleurs!
Anges des Cieux, Puissances immortelles,
Qui prsidez nos jours passagers,
Sauvez Lautrec au milieu des dangers,
Mettez Sgur l'ombre de vos ales;
Dja Rocoux vit dchirer son flanc;
Aez piti de cet ge si tendre,
Ne versez pas les restes de ce Sang,
Que pour LOUIS il brle de rpandre:
De cent Guerrriers conservez les beaux jours;
Ne frapez pas Bonac & d'Aubeterre,
Plus accablez sous de cruels secours
Que sous les coups des foudres de la Guerre.
     Mais, me dit-on, faut-il tout propos
Donner en Vers des Liftes de Hros;
Sachez qu'en vain l'Amour de la Patrie
Dicte vos Vers au vrai seul consacrez;
On flte peu ceux qu'on a clbrez,
On dplat fort tous ceux qu'on oublie.
     Ainsi toujours le danger suit mes pas:
Il faut livrer presque autant de Combats,
Qu'en a caus sur l'Onde & sur la Terre,
Cette Balance utile l'Angleterre.
     Cessez, cessez, digne sang de BOURBON,
De ranimer mon timide Apollon,
Et laissez-moi tout entier l'Histoire,
C'est-l qu'on peut, sans gnie & sans art,
Suivre LOUIS de l'Escaut jusqu'au Jart.
Je dirai tout, car tout est sa gloire;
Il fait la mienne, & je me garde bien
De ressembler ce grand Satirique,
De son Hros discret Historien ,
Qui pour crire en stile vridique
Fut bien pa, mais qui n'crivit rien.

F I N.